dimanche 14 décembre 2008

Une histoire qui ne vous fera ni chaud ni froid

Petite expérience de saison: remplissez deux verres identiques avec la même quantité d'eau, l'un avec à 40°, l'autre à 10°. Mettez-les au congélateur. Dans lequel des deux l'eau gèlera-t-elle le plus vite?
Évident, non? Le temps que l'eau chaude refroidisse jusqu'à 10°, l'eau froide ne sera plus à 10° mais à 5° par exemple et l'eau chaude mettra fatalement toujours plus de temps à prendre glace.

C'est aussi ce que croit le jeune Erasto Mpemba, écolier tanzanien qui, en 1963 apprend en classe à fabriquer de la crème glacée. Comme il est en retard dans sa préparation il fourre sa préparation encore toute chaude dans le freezer, sans attendre qu'elle refroidisse. A sa grande surprise, son pot gèle plus rapidement que celui de ses petits camarades! Il rapporte ce fait à son maître qui n'a manifestement pas inventé l'eau tiède et l'envoie se faire cuire un oeuf. Pas refroidi pour autant, Erasto répète avec succès l'expérience chez lui et apprend par ailleurs que les marchands de glace utilisent ce truc pour fabriquer plus rapidement leur crème glacée. Quelques années plus tard, devenu étudiant, il raconte sa drôle d'observation à un professeur de physique, le Dr Osborne, en visite en Tanzanie. Osborne de retour aux Etats-Unis mit en évidence expérimentalement le phénomène qu'il baptise effet Mpemba, en l'honneur de ce jeune qui n'avait pas froid aux yeux. Cette découverte n'en est pas vraiment une: depuis l'antiquité, Aristote en parlait déjà dans sa Météorologie: "Les habitants du Pont, quand ils établissent leurs tentes sur la glace, pour se livrer à la chasse aux poissons -car ils pêchent en brisant la glace- versent de l'eau chaude autour des perches pour qu'elle gèle plus vite: et la glace leur sert comme de plomb pour consolider et arrêter leurs pieux." Et plus tard, Bacon puis Descartes avaient eux aussi remarqué que l'eau chauffée gèle plus rapidement que l'eau froide.

Depuis 1969, les scientifiques ont avancé beaucoup d'explications à ce paradoxe et les débats ont souvent été chauds pour savoir laquelle était prépondérante, sans qu'on ait jusqu'ici vraiment réussi à trancher expérimentalement.
- Une première hypothèse concerne l'évaporation du liquide chaud. La masse liquide dans le verre d'eau chaude étant plus faible, elle gèle plus vite. Malheureusement, l'effet Mpemba s'observe également avec des récipients fermés, où la masse d'eau est globalement conservée.
- On a également invoqué dans le cas d'un freezer, le fait que le récipient d'eau chaude puisse faire fondre le lit de glace sur lequel il est posé et qui l'isole du métal froid. Pas de chance, on observe le phénomène même si l'on suspend le verre d'eau chaude dans le congélateur, sans contact avec les parois. Dans le même esprit, on peut aussi signaler qu'introduire un récipient chaud dans un réfrigérateur moderne doté de capteurs thermiques, pousse automatiquement la puissance de la réfrigération et le refroidit donc davantage. Mais cette observation n'explique pas la différence de vitesse de congélation lorsque deux verres (l'un froid, l'autre chaud) sont placés simultanément dedans.
- On a imaginé que l'eau froide dissout davantage les sels minéraux que l'eau chauffée (il suffit de regarder le dépôt au fond des bouilloires pour s'en convaincre). De même que l'eau salée, la température de congélation de l'eau initialement froide pourrait donc être plus faible que celle de l'eau initialement chaude, débarassée de ces sels. Malheureusement l'effet Mpemba s'observe aussi avec de l'eau distillée...
- L'explication la plus convaincante fait appel aux turbulences de l'eau chaude. L'eau refroidit essentiellement par la surface, et ce d'autant plus vite que la surface est chaude. Dans le récipient d'eau froide, une couche de glace se forme très rapidement en surface et isole efficacement le reste du liquide de tout échange avec la surface. Comme la densité de l'eau est maximale à 4° (cf un précédent billet) l'eau du fond reste liquide plus longtemps. A l'inverse, dans le récipient d'eau chaude, la grande différence de température entre l'eau et la surface génère d'intenses courants de convection: l'eau chaude -plus légère- remonte vers la surface, refroidit, gagne en densité et finalement redescend en profondeur, remplacée par de l'eau plus chaude. La couche de glace en surface se forme plus lentement mais cela permet d'abaisser la température de façon plus homogène dans le récipient: la solidification complète se produit plus rapidement.

Un dernier élément à prendre en compte est le phénomène de surfusion dont on a parlé ici. Dans une eau froide et très pure, il peut arriver que la prise de glace ne se déclenche pas à 0°, faute d'un petit facteur déclenchant, impureté ou autre (on en a déjà parlé ici). Ce n'est que bien en dessous de 0° qu'elle se forme très brutalement. Au passage ce serait cet effet qui explique que vous trouviez parfois des mini stalagmites à la surface de vos glaçons (photo ci-contre tirée de ce blog anglophone): en se formant brutalement depuis les bords, la glace, plus volumineuse que l'eau, pousse sur le liquide qui s'échappe brutalement au centre avant de congeler l'instant d'après.

Dans une eau chaude, les intenses courants de convection ainsi que les éventuels sels minéraux précipités sous forme solide, rendent cette surfusion nettement moins probable... La transformation en glace se fait dès 0° et sans mini stalagmite.

Vous trouvez que cette histoire de 1969 sent le réchauffé? Pas tout à fait... Dans l'espace, en l'absence de gravité les différences de densité du liquide ne devraient entrainer aucun mouvement de convection. Un projet d'expérimentation de l'effet Mpemba dans la future station internationale, permettra de vérifier si oui on non l'eau chaude gèle à la même vitesse que l'eau froide dans ces conditions. On brûle d'impatience d'avoir le fin mot de l'histoire...

Références:
L'effet Mpemba sur Wikipedia, en français ou en anglais
Le drôlissime "Pourquoi les manchots n'ont pas froid au pieds et 111 autres questions stupides et passionnantes" publié par le magasine New Scientist.