dimanche 27 juin 2010

La tête ailleurs

J'ai été impressionné par les récentes histoires de bébés oubliés toute la journée dans la voiture. Distraction pathologique? Pas du tout: leurs mères paraissaient tout à fait équilibrées mentalement. Par contre elles étaient toutes sous le choc d'un violent traumatisme le matin même suite à un accident de voiture, un autre enfant hospitalisé etc. Ces drames illustrent spectaculairement comment un excès d'émotion peut altérer notre lucidité. Sans tomber dans ces extrêmes, nous devenons très vite distraits ou influençables dès que notre esprit est trop occupé à quelque chose...

La négligence attentionnelle
Vous connaissez peut-être ce test très célèbre. Vous devez compter sur cette vidéo le nombre de passes qu'effectue l'équipe en noir. Concentrez-vous et regardez bien...
Entre la moitié et les trois-quarts des personnes qui voient la vidéo ne remarquent pas le gorille qui surgit au milieu des joueurs. Notre cerveau est une très belle machine, mais il ne peut porter son attention que sur une seule chose à la fois. Occupé à compter les passes, on zappe en général le détail incongru quand rien ne vient nous alerter (l'effet réussit d'autant mieux que le gorille entre doucement au milieu des joueurs et que sa couleur se fond parmi eux). Cette focalisation de l'attention est la recette de base de tous les prestidigitateurs: pendant qu'une colombe surgit de leur main droite vers laquelle ils regardent, personne ne regardent ce que fait leur main gauche. Voici un autre exemple moins connu que le gorille:
êtes-vous tombé dans le panneau, attentifs aux cartes et aux mains des magiciens? La lucarne de notre attention est décidément bien étroite... Certains chercheurs vont même jusqu'à penser que l'onl ne peut prendre conscience que d'une couleur ou d'une forme géométrique à la fois. Voici l'expérience qui inspire leur hypothèse: on vous présente successivement et très rapidement deux images représentant chacune un motif différent (un carré rouge puis un carré bleu) sur un panneau. Vous n'aurez pas trop de mal à vous souvenir de la localisation de chaque motif et de sa couleur. Si maintenant on vous présente rapidement l'image complète avec les deux motifs, vous vous souviendrez de leur agencement mais aurez plus de mal à vous souvenir de leur couleur respective.
source: l'article de Huang, Treisman et Pashler


L'effet est démultiplié lorsqu'on combine plusieurs couleurs, plusieurs motifs et plusieurs localisations possibles. Les auteurs en concluent que la prise de conscience complète d'une image composite exige de balayer lentement l'image complète du regard et de fournir un effort volontaire d'attention à en saisir  toutes ses dimensions (couleurs, motifs etc). Il n'y a qu'au cinéma que les héros se souviennent de tous les détails périphériques d'une scène. D'autant que si l'émotion entre en jeu on a vu dans ce billet que l'attention se focalise encore plus sur le centre de la scène (le fameux "weapon effect").

Pensée et boulimie
La focalisation de l'attention réduit aussi nos facultés à décider en conscience. Dans une série d'expériences très amusantes des chercheurs américains ont demandé à des étudiants de tirer au sort une enveloppe contenant un nombre à mémoriser. Pour certains (le groupe 1) le nombre était à deux chiffres et pour d'autres (le groupe 2), c'était un nombre à 7 chiffres. La consigne consistait à se souvenir de ce nombre et aller l'écrire à l'autre bout du bâtiment. En chemin, les étudiants étaient invités à boire un verre et à grignoter quelque chose. Ils avaient le choix entre un gâteau au chocolat et une salade de fruits, avant de poursuivre leur route. Tout le but de l'expérience consistait en fait, non pas à évaluer leur mémoire, mais à observer ce qu'ils choisissaient à manger. Très bizarrement, les étudiants du groupe 2 ayant à se souvenir d'un grand nombre succombaient beaucoup plus souvent (63%) à la tentation d'un junk food que ceux du groupe 1 (41%). Vous avez dit bizarre? Quel rapport entre la taille du nombre à mémoriser et lle goût des étudiants? L'explication des chercheurs est la suivante: notre mémoire de travail peut stocker jusqu'à sept choses maximum; au-delà il faut utiliser des trucs mnémotechniques. Absorbés par l'effort de mémorisation, les étudiants du groupe 2 n'ont plus suffisamment de ressources mentales pour résister à leurs pulsions gourmandes. Sous l'effet de cette "surcharge cognitive", ils choisissent mécaniquement le dessert le plus tentant. Les étudiants du groupe 1 n'ont pas ce problème puisque leur effort de mémorisation n'exige pas toute leur attention. Ils peuvent sans problème dédier quelques microsecondes de leur processeur mental pour choisir un dessert et privilégient parfois un truc sain. Le contraste est encore plus marqué pour les individus de nature impulsive: en situation de surcharge cognitive 80% préfèrent le gâteau au chocolat alors qu'ils ne sont que 40% en temps normal.

Consommation ou compensation?
Cette faiblesse naturelle peut-elle être exploitée par le marketing? La sur-abondance de sollicitations qui abreuvent le consommateur sur les lieux de vente le rend-elle plus sensible à la tentation? On n'en a pas de preuve directe, mais une expérience faite en 2007 a tenté de mesurer le lien entre consommation et contrainte psychologique. On a demandé à des collégiens de faire un exercice de libre association de pensées. Certains d'entre eux avaient la consigne de ne pas penser à un ours blanc (pourquoi un ours blanc, allez savoir...), tandis que les autres étaient libres de penser à ce qu'ils voulaient. Puis on a distribué à tous 10$ de récompense qu'ils pouvaient dépenser dans la boutique du collège ou garder pour plus tard. Les collégiens interdits d'ours blanc ("Thought Suppression" sur le graphique) ont dépensé bien davantage que ceux du groupe contrôle ("No Suppression") surtout lorsqu'ils sont naturellement impulsifs ("High BIS"):

Ici on ne peut plus vraiment parler de surcharge cognitive puisque les étudiants ont terminé leur exercice au moment d'acheter des produits. Le besoin de consommer semble plutôt lié au relâchement de leur auto-contrôle, comme un muscle qui se détend après avoir été sollicité. Et plus l'effort a été grand, plus le besoin de compenser est important. On craque pour un petit extra après un petit effort, mais en cas de stress intense et prolongé, ce besoin de compenser peut devenir pathologique, boulimie ou frénésie incontrôlable d'achat selon l'humeur. Un sentiment de tristesse renforce le besoin de consommer et par ailleurs, si l'on est dégoûté, on aurait plutôt tendance à se débarrasser à n'importe quel prix de ce qu'on veut vendre: après une humiliation nationale en Coupe du Monde, eBay doit se frotter les mains!

Allez, à la demande générale, une petite parenthèse sur la fièvre acheteuse...
L'achat compulsif toucherait -d'après ce site- plus de 1% de la population, des femmes à 80% et pour plus des trois quarts d'entre elles concernent les vêtements et les chaussures en particulier. Pourquoi les chaussures se demande ma Xochipillette? Nature et Science sont muets sur le sujet, par contre les blogs féminins regorgent de théories scientifiques sur le sujet. Dix-neuf paires en moyenne chez les Américaines. Et une sur 12 admet en avoir plus de 100 à la maison! Tout commence par le processus d'achat génialement décrit par ce site (en anglais):
Les expertes du sujet voient une foultitude de raisons pour lesquelles les chaussures sont l'achat compulsif idéal:
1) Elles reflètent facilement l'humeur du moment, même si on est habillé basiquement; et d'ailleurs on peut se permettre une fantaisie bien plus grande avec ses chaussures qu'avec le reste de sa garde robe.
3) Les chaussures sont la première chose qu'une femme regarde chez quelqu'un (paraît-il?).
4) On peut toujours mettre ses chaussures même si l'on a pris ou perdu 20 kg 10kg.
5) Les chaussur es sont les seuls vêtements qu'on voit intégralement quand on les porte sur soi
6) Cendrillon a séduit le Prince Charmant grâce à ses pantoufles de vair verre.

Perso j'ai une explication plus simple: un beau soulier a tous les attributs d'un bijou et c'est le seul bijou qu'une femme peut s'offrir sous l'alibi de l'utilité et du confort pour marcher...

Sources:
Baba Shiv et Alexander Fedorikhin: Heart&Mind in conflict

Billets connexes:
Tête encore: comment les émotions influencent nos décisions

lundi 21 juin 2010

Le Jabulani se prend-il pour une banane?

Le ballon de la Coupe du Monde - le Jabulani- semble être un cauchemar pour les gardiens de but, tant ses trajectoires sont imprévisibles. Sur les frappes de loin, il lui arrive de “flotter” en l'air, hésitant dans sa trajectoire avant de prendre le gardien par surprise comme sur ce but de la Chine contre la France.


La plupart des explications au sujet de ces tirs flottants (par exemple ici ou chez Tom Roud) font appel à "l'effet Magnus”, connu pour être à l'origine de très illustres tirs "en banane":


J'avoue que le parallèle entre les deux types de tirs ne m'a pas paru évident: la trajectoire de la balle flottante est beaucoup moins courbe que celle des "tirs en banane" et la balle semble y être beaucoup moins “brossée”. S’agit-il vraiment du même effet? Le Webinet mène l’enquête sur cette question cruciale qui a au moins le mérite de ne pas parler des frasques de l'équipe de France. Et cette semaine, promis: pas d'équation!

Le tir en banane
Pour éplucher la banane, rien ne vaut le légendaire coup franc de Roberto Carlos contre l'équipe de France en 1998:

Regardez comme le ballon tourne très vite sur elle-même. L'effet donné à la balle entraine l’air à son contact, accélérant le flux d’un côté et le ralentissant de l’autre. Or la vitesse d'un gaz est liée à sa pression (souvenez-vous de Bernoulli et de son théorème): si sa vitesse augmente sa pression diminue et vice versa. La différence de pression induite de part et d’autre de la balle crée une poussée latérale qui incurve sa trajectoire. C'est ça le fameux effet Magnus:
L'effet Magnus (l'illustration est adapté de ce site)

Cet effet est accentué par la déviation de la trainée d'air derrière la balle. Sous l'effet de la rotation, le sillage turbulent est décalé par rapport à l'axe de déplacement de la balle:
(source: ici)

Par réaction, la balle subit une seconde poussée latérale qui s'ajoute à la force de Magnus:


(illustration tirée et adaptée de ce site):

L’effet sera d’autant plus marqué que la balle “accroche” l’air autour d’elle. C’est la raison pour laquelle les balles de tennis neuves ont plus d’effet que les balles usées ou mouillées et que les balles de base-ball ont de drôles de couture.

La vitesse de rotation de la balle sur elle-même accentue également l’effet: il faut bien “brosser” la balle avec son pied ou sa raquette, surtout au ping pong où la balle est très lisse. Au football l’effet est plus facile à obtenir par temps sec: la chaussure donne plus d’effet à la balle et la balle entraine mieux l’air autour d’elle.
A ces effets en l'air s'en ajoutent d'autres encore plus diaboliques au moment du rebond lorsque la balle est légère. Cela permet de faire des services redoutables au ping-pong:

Le deuxième effet kiss-cool de la banane
Au foot le véritable magic touch du tir en banane de Roberto Carlos, ne vient pas du rebond mais du changement subit de la trajectoire du ballon, une fois qu'il a passé le mur des joueurs. La balle qui semblait mal cadrée oblique brusquement vers le but, prenant tout le monde de court.
Que se passe-t-il? Lorsque la balle ralentit un peu, l’écoulement de l’air autour d’elle change subitement de régime, et passe d’un mode “turbulent” c’est-à-dire chaotique à un mode beaucoup plus stable (“laminaire”) où les effets de la viscosité de l'air sur la balle (et donc la poussée latérale qu'elle subit) sont beaucoup plus marqués. Si la balle a gardé suffisamment de rotation quand elle entre dans ce régime la courbure de sa trajectoire est donc brutalement accentuée et prend tout le monde de court.

source ici

Bref, pour réussir un beau tir en banane il faut un coup de pied très puissant et très brossé. La balle suit alors une trajectoire arrondie dont la courbure s’accentue subitement quand la balle passe du mode turbulent au mode laminaire. On obtient cet effet plus facilement par temps sec et avec une balle qui "accroche" bien l'air.

La balle flottante
Venons-en aux tirs flottants. C’est au volley que l’on parle le plus volontiers de “service flottant”. On obtient cet effet quand on frappe fort dans une balle de plage très légère. Même sans vent, on dirait que la balle fait n'importe quoi. Faute d’une belle vidéo sur un bon service flottant, voici l’animation qu’en donne Wikipedia:

L'explication est plus subtile que celle de l'effet Magnus. Ici c'est l'absence de rotation de la balle qui provoque l'instabilité de la trajectoire. Et oui! En aérodynamique, la rotation joue le même rôle stabilisateur qu'un gyroscope en mécanique, même si les mécanismes sont très différents. Ce n'est pas un hasard si tous les fûts d'armes à feu sont rayés. Quelque soit sa nature -torpille, flêche ou balle- un projectile qui tourne en vrille pendant sa course voit toujours sa trajectoire stabilisée, car les turbulences de l'air sont canalisées derrière lui.

Si au contraire la balle part très vite sans tourner, l'écoulement turbulent de l'air à son contact crée des mini-tourbillons
à sa surface. Ces petites perturbations réparties aléatoirement autour d'elle sont autant de micro-dépressions qui attirent ou repoussent la balle d'un côté ou de l'autre. Sa trajectoire devient alors imprévisible et c'est justement cet effet qui est recherché dans les jeux de balle. L'effet est plus facile à obtenir avec une balle llisse et légère ce qui explique qu'il soit plus connu au ping-pong et au volley qu'au foot. Pour bien réussir un tir flottant, il faut frapper sèchement la balle au centre (pour éviter la rotation) et très fort (pour qu'elle passe en régime "turbulent").

Verdict...
Récapitulons: effets Magnus et flottants ont bien des points communs (tir puissant, frappé de loin et trajectoire imprévisible) mais ces similitudes cachent des mécanismes très différents: l'effet Magnus recquiert une balle qui tourne très vite sur elle-même et devient redoutable s'il se prolonge au moment où la balle ralentit. A l'inverse un tir devient flottant lorsque la balle est en pleine vitesse et qu'elle ne tourne pas sur elle-même. Le Jabulani, plus lisse et plus léger que les autres modèles de ballons (surtout quand il est joué en altitude) est un candidat idéal pour des tirs "flottants", surtout quand il pleut. En revanche si mon explication est la bonne il se prête moins beaucoup moins bien aux effets Magnus. Bref une banane ne flotte pas et un tir flottant ne se banane pas...

Source:
L'excellent travail des lycéens de Strasbourg sur le sujet
The science of soccer sur le site de l'Université de Hong Kong
La conférence "Balles et Ballon" d'Etienne Guyon
L'article de Wikipedia sur le service flottant au volley

Billets connexes
Le vélo c'est physique sur les bizarreries d'une roue qui tourne

samedi 12 juin 2010

valise

J'ai pris ma plus belle gamelle en vélo en descendant une route de Corse, dans un virage en épingle à cheveux. Je n'allais pas particulièrement vite mais ma roue a littéralement décollé dans le virage sans que je comprenne pourquoi. C'est seulement 25 ans plus tard, en tombant sur un cours de physique de Walter Lewin du MIT que je comprends ce qui m'est arrivé et aussi plein d'autres trucs rigolos sur les choses qui tournent. Si l'anglais ne vous rebute pas, et que vous gardez un souvenir douloureux de vos cours de physique au lycée, jettez-y un oeil. C'est une extraordinaire leçon de pédagogie à mettre entre toutes les mains des profs de physique.

Les lois de la rotation

Pour comprendre comment ça marche il faut juste un petit rappel sur les lois du mouvement d'un objet en rotation sur lui-même (mais comme le dit Arthur en commentaire, les mathophobes peuvent sauter au paragraphe suivant sans problème). Pas de panique c'est facile:
Il suffit de remplacer:
par:
la vitesse v
la vitesse de rotation ω
la masse m
le moment d'inertie I = Σ(miri²)
la quantité de mouvement p=mv
le moment cinétique L=I ω
la force F
le couple: C=F x r égal au produit de la force par la distance à l'axe et perpendiculaire à ces deux vecteurs
(les vecteurs sont en caractères gras)

Toutes les lois du mouvement se déduisent de ces analogies:


Dans un mouvement rectiligne:
Dans une rotation:
Equation du mouvement:
la force F=dp/dt
le couple C=dL/dt
Energie cinétique
E=½ mv²
E=½ Iω²
Travail
W=Fv
W=CW

Quand le moment cinétique se conserve

Si vous n'avez rien suivi, encore une fois, c'est pas grave. La seule chose qui compte aujourd'hui c'est qu'en l'absence de couple (c'est à dire de force exercée sur l'axe de rotation), le moment cinétique L = Iω se conserve, ce qui est l'équivalent de l'invariance de la quantité de mouvement p=mv en l'absence de force. Ca ne vous dit rien? C'est le fameux truc de la patineuse à glace qui tourne sur elle-même de plus en plus vite quand elle replie sur elle-même ses bras et son pied libre. Comme elle rapproche une partie de sa masse vers l'axe, son moment d'inertie I = Σ(miri²) diminue. Puisque le produit Iω reste constant, sa vitesse de rotation sur elle-même (ω) augmente: voilà pourquoi notre belle patineuse accélère quand elle se recroqueville.

Dans un genre moins gracieux, lorsque le volcan-dont-personne-ne-sait-prononcer-le-nom crache beaucoup de laves, il modifie légèrement le moment d'inertie I de la Terre. Et comme Iω= constante, la vitesse de rotation de la Terre sur elle-même varie très très légèrement!

Leçon de vélo n°1: comment tourner?

Revenons-en à mon vélo. J'ai toujours hésité à me pencher dans les virages, de peur que ça ne fasse "chasser" la roue. Cette fois-là, je m'en étais bien gardé à cause des gravillons sur la route; je me suis contenté de tourner le guidon dans le virage en restant bien à la verticale. Et là: patatras...
Que se passe-t-il quand on tente de faire pivoter vers la gauche une roue de vélo en train de tourner:


Si la roue était au repos, elle aurait gentiment tourné dans la direction où on la pousse. mais quand elle tourne elle bascule sur le côté! Cet effet gyroscopique est en fait simple à comprendre: il suffit de se souvenir que l'axe de rotation de la roue est toujours aligné sur son moment cinétique (souvenez-vous L = Iω, et ω représente l'axe de rotation de la roue). Quand on pousse sur l'axe de la roue on crée un couple donc un moment cinétique L2 supplémentaire, perpendiculaire au plan de la poussée. L'axe de rotation dévie donc en direction de ce nouveau moment cinétique.

Application au virage en vélo (ou en moto): quand on roule et qu'on tourne le guidon horizontalement, on crée un moment cinétique orienté verticalement. (souvenez-vous le moment cinétique créé est perpendiculaire au plan de la poussée sur le guidon). L'axe de la roue va donc dévier vers la verticale, la roue n'est plus perpendiculaire à la route et le vélo bascule...

Alors, comment faire pour tourner sa roue tout en la laissant bien perpendiculaire à la route? C'est le B-A-BA de la conduite à moto: il suffit de s'incliner du côté où l'on veut tourner. Bizarrement pour être bien stable dans un virage il faut pousser vers le bas et surtout pas tourner le guidon à l'horizontale comme je l'avais fait.



Démonstration en live quand on est sur un tabouret pivotant:


Les gyroscopes en action

On se sert de ces drôles de propriétés pour orienter les satellites dans l'espace et stabiliser leur position à l'aide de petits rotors fixés sur le satellite. Il suffit de changer légèrement l'orientation du rotors pour que le satellite tourne sur lui-même comme dans l'expérience précédente.

Maintenant que le vélo n'a plus de secret pour vous, vous voilà prêts à comprendre comment un gyroscope peut défier les lois de la gravité. Prenez une roue de vélo, faites la tourner sur son axe puis posez son axe à l'horizontale sur un support:



La roue ne tombe pas comme il le ferait s'il était arrêté, elle tourne à l'horizontal autour de son support! A faire retourner Newton dans sa tombe? Pas vraiment: on a affaire exactement au même phénomène que précédemment, sauf que la pesanteur de la roue (et la réaction opposée du support) remplacent la force musculaire du type assis sur le tabouret pivotant lorsqu'il appuie verticalement sur l'axe de la roue. Si la vitesse de rotation de la roue est grande, la roue tourne pour chercher à orienter son axe de rotation vers le moment cinétique créé par le poids de la roue. Sans jamais y parvenir bien sûr puisque le couple est toujours dans le plan de la roue. Un peu comme l'âne qui avance pour attraper la carotte accroché devant son museau. Plus la roue pèse lourd plus elle tourne vite autour du support.

Une telle "résistance" à la pesanteur explique pourquoi un vélo qui roule est stable verticalement. Et pourquoi une pièce de monnaie roule longtemps quand on la lance sur sa tranche. Les phénomènes gyroscopiques autorisent aussi toutes sortes de facéties. Planquez une roue qui tourne dans un bagage par exemple et vous obtenez une valise très facétieuse:


Allez, pour finir sur ces aventures bicyclettiques, une petite devinette: qu'est-ce qui descend le plus vite une pente en roue libre:
- une grande ou une petite roue?
- une roue pleine ou une roue "normale"?
- une roue lourde ou une roue légère?

Curieusement, la vitesse ne dépend ni de la taille des roues, ni de leur masse... Par contre une roue pleine va plus vite qu'une roue creuse car son moment d'inertie par rapport au centre est plus petit.

L'accélération est indépendante de la masse (M), du rayon R et est un sixième fois plus grande pour un cylindre plein que pour un cylindre creux

Démonstration en image:


Je suppose que c'est la raison pour laquelle les roues des vélos de piste sont des disques pleins. Mais en cas de vent, gare aux risques de décollage!

Source:
Les cours de Walter Lewin (8.01) du MIT dont sont extraits les vidéos de ce billet.

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Le théorème de Noether: couteau suisse de la physique sur l'origine des lois d'invariance