samedi 26 novembre 2011

Déménagement!


Le Webinet déménage et va s'installer sur le tout nouveau Café des sciences qui fait peau neuve et de simple fédération de blogs devient une véritable plate-forme d'hébergement de blogs pour ses membres mais aussi pout tous ceux qui souhaite y ouvrir un blog dans la catégorie "invités".

Je vous invite donc à me retrouver à ma nouvelle adresse et si vous êtes abonné n'oubliez pas de changer votre flux RSS pour celui-ci. Un premier billet vous y attend, qui revient sur les rapports mystérieux entre vitesse de la lumière et voyage dans le temps!http://webinet.cafe-sciences.org/

jeudi 3 novembre 2011

Super-organismes

L’idée que les sociétés d’insectes comme les fourmis, les termites ou les abeilles sont comparables à des “super-organismes” n’est pas neuve. Dès 1926 le biologiste William Wheeler remarquait que la coopération entre les membres d’une colonie d’insecte est si poussée qu’elle la dote de tous les attributs d’un être vivant. Exactement comme un organisme constitué de cellules ayant chacune une vie propre, ne prend “corps” que grâce à l’extrême degré de coopération entre ces cellules. Mes histoires d’abeilles qui choisissent un nid m’a permis de mesurer à quel point dans un cas comme dans l’autre, le fonctionnement émergent n’a souvent pas grand rapport avec celui de ses constituants de base...

jeudi 27 octobre 2011

Les abeilles ça déménage! (2/2)


Part 2: l'essaim, un cerveau virtuel?
On compare souvent les sociétés d’insectes à des “super-organismes” tant leur fonctionnement semble doté d’une vie propre, grâce à l’extraordinaire coordination des bestioles qui les composent. Dans son livre "Gödel Escher Bach", Douglas Hofstadter va un cran plus loin lorsqu'il évoque une fourmilière (Mme de Montfourmi) avec laquelle le fourmilier passe de longues soirées à bavarder, alors que chaque fourmi qui la compose est parfaitement stupide et a même une peur terrible de se faire manger par le fourmilier. "Il me semble, écrit-il, que la situation présente des analogies avec la composition d'un cerveau humain, avec ses neurones. Personne n'oserait soutenir que chacune des cellules du cerveau doit être une entité intelligente pour expliquer qu'une personne puisse avoir une conversation intelligente" (p353).

Si l’on en juge le mécanisme de décision des abeilles en quête d’un nouveau nid dont je vous ai parlé la dernière fois, Hofstadter pourrait avoir vu juste. L’intelligence qui s’en dégage (mesurable à la pertinence des choix) est incomparablement supérieure à celle que pourrait produire une abeille prise individuellement : en deux jours, l’essaim arrive à dégotter le meilleur site à des kilomètres à la ronde puis à se mettre d’accord pour y emménager. Se pourrait-il que l’essaim partage des points commun avec le mode de fonctionnement d’un cerveau de vertébré? C’est l’idée que défend Thomas Seeley.

jeudi 20 octobre 2011

Les abeilles ça déménage! (1/2)

Depuis qu’il est gamin, Thomas Seeley est passionné par les abeilles. Devenu biologiste, il s’est mis en tête de décortiquer la manière dont elles choisissent chaque année leur nouveau nid. Il faut dire que le processus est fascinant: en quelques jours seulement (il faut faire vite car elles n’ont rien à manger!) elles arrivent à dégotter le meilleur site à des kilomètres à la ronde, à se mettre toutes d’accord sur ce choix et à y déménager comme un seul homme. Un miracle d’efficacité à faire pâlir d’envie nos partis politiques, sans aucune centralisation.
Dans son livre “Honeybee Democracy” (uniquement en anglais pour l’instant), Seely propose donc une délicieuse plongée dans la vie d’un chercheur en abeillologie. Chaque étape de sa recherche est présentée comme une énigme qu’il tente de résoudre avec d’astucieuses expérimentations. Une vraie leçon de sciences!

dimanche 9 octobre 2011

L'évolution: un art plastique (part 3)

source ici
Part 3: l'art du pliage moléculaire
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les découvertes de Waddington dans les années 1950 sur les liens étranges entre génétique et environnement n’ont pas vraiment eu d’écho à l'époque. Il faut dire que ça tombait pile au moment où l'on découvrait l’ADN et l’image fascinante de programme génétique orienta durablement la recherche en biologie vers des modèles réductionnistes de type un gène = une enzyme. Richard Lewontin rapporte ainsi (dans la triple hélice) que le biologiste moléculaire Sydney Brenner affirma un jour que “s’il disposait de la séquence d’ADN complète d’un organisme et d’un ordinateur suffisamment puissant, il saurait calculer l’organisme”!
Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que l’on s’intéressa de nouveau aux expériences de Waddington. Susan Lindquist  en particulier chercha à comprendre les raisons moléculaires pour lesquelles on observe autant de mutations chez des organismes (animaux ou végétaux) soumis à des stress pendant leur phase de croissance, et leur lien avec l'évolution des espèces. Une recherche tellement fructueuse qu'elle lui valut la médaille nationale de la science en 2010...

dimanche 2 octobre 2011

L'évolution: un art plastique (part 2)

On a vu dans le dernier billet pourquoi l'image de gènes programmant mécaniquement les organismes qui les hébergent est loin de la réalité. L'ADN n'est pas un "programmateur" mais un code passif, que la machinerie cellulaire peut lire de plusieurs manière selon l'environnement chimique de la cellule. Du coup, un même code génétique peut produire des formes morphologiques très altérées en cas de forte perturbation du milieu.
Cette combinaison de robustesse et de plasticité en cas de gros pépin pourrait presque être vue comme une caractéristique du vivant, au même titre que la capacité à se reproduire ou à se développer...

L'assimilation génétique
Si cette idée n'a rien d'évident, c'est que la sensibilité des organismes à l'environnement ne saute pas vraiment aux yeux. Les organismes d'une même espèce se ressemblent plutôt beaucoup et ils ne se transforment pas en mutants garous dès qu'il pleut ou qu'il fait chaud. Dans les années 1940, le biologiste anglais Conrad Waddington eut l’idée que cette relative immuabilité était en réalité due à l’action efficace de mécanismes régulateurs (homéostatiques, comme on dit) qui maintiennent constant le milieu intérieur de la cellule et qui corrigent ou atténuent les erreurs de lecture des gènes.

lundi 26 septembre 2011

L'évolution: un art plastique (part 1)

Les débats suscités par mon billet sur la "plasticité du vivant" m'ont donné envie de creuser le sujet et notamment d’explorer la piste évo-dévo suggérée par Taupo IRL. J'ai découvert que cette question de plasticité, loin d'être anecdotique, constitue un des sujets les plus chauds du moment en matière de biologie évolutive et pose un regard nouveau sur le rôle de la génétique. Récit en trois épisodes...

Repartons du schéma géno-centrique...
Aux yeux du grand public qui comme moi a lu (trop vite peut-être) le Gène Egoïste de Dawkins, la théorie synthétique de l’évolution a comme seul point de départ les mutations génétiques aléatoires, dont les effets sur les organismes sont soumis à la dure loi de la sélection naturelle. Dans ce schéma géno-centrique, l’évolution fonctionne à sens unique:


mercredi 7 septembre 2011

Tech-mot-logie

Le langage d’une époque est un bon révélateur de la technologie dominante d’une culture. La nôtre est plutôt agricole. Est-ce par peur de prendre des vessies pour des lanternes ou par souci de de pas mettre la charrue avant les boeufs? Toujours est-il que notre vocabulaire, tiré à hue et à dia par des paysans qui ruent souvent dans les brancards, a longtemps mis tous ses oeufs dans le même panier. Nos métaphores s’écartent rarement des sentiers battus de la paysannerie et ce n’est pas pousser Mémée dans les orties que de constater qu’elles font aujourd’hui encore notre pain quotidien.

Tout ça semblait réglé comme une horloge jusqu’à ce que notre langage prenne le train en marche de la révolution industrielle. Cela dit, pas de quoi péter un boulon (ni une durite ni même un câble), tant cette influence est restée discrète, comme si l’on n’était pas aux pièces pour produire à la chaîne des expressions qui rappelleraient trop l’usine. D’ailleurs la technologie a longtemps puisé dans le gisement du vocable de la nature (une pince-crocodile, un sabot de menuisier, un chien de fusil...) avant de devenir à son tour une référence du langage (beau comme un camion, rapide comme une fusée, compliqué comme une usine à gaz...).

Bizarrement on pourrait presque zapper l’impact de la télévision, qui n’a visiblement pas beaucoup branché notre créativité sémantique, sans que je capte très bien pourquoi. Peut-être était-on trop saturés d’images pour avoir envie d’en inventer de nouvelles avec les mots? Heureusement l’informatique et l’internet sont maintenant là pour rebooter notre inspiration et booster notre vocabulaire. Certes, certains se sentiront spammés d’anglicismes, mais mieux vaut en loler. Si votre système d’exploitation finit par bugger avec toutes ces expressions anglaises, je vous poke ce très joli verbe, qui semble tout droit sorti de chez Rabelais ou Montaigne : plussoyer (ou plusseoir selon certains, il y a débat). Vous n’imprimez pas? Le mot vient de l’usage dans certains forums d’évaluer les commentaires avec +1 pour manifester son accord avec ce qui vient d’être dit. L’équivalent du pouce levé, du “j’aime” sur Facebook... ou du +1 de Google.

Pour une fois la langue française est en avance sur Google! La plus ancienne trace que j’ai trouvée de ce mot date de 2003 (ici) dans un forum privé de fans de Linux. La floraison des réseaux sociaux devrait lui garantir un vrai succès (déjà près d’un million d’occurences pour “plussoie” sur Google) et je lui prédis une entrée dans le dictionnaire d’ici deux ou trois ans max. Il faut dire que ce verbe a le charme de l’ancien. La rumeur a un moment couru sur le net qu’il viendrait du latin plussare, qui aurait signifié “rajouter une plaquette de marbre avec +I gravé dessus, au forum de la cité” (pourquoi un +I, l’histoire ne le dit pas). Inutile de vous mettre en quête de plusso, avi, atum, tr. dans votre Gaffiot, car le terme plussare n’est employé que sur les forums s’interrogeant sur l’origine de plussoyer (96 occurences sur Google, quand même).

En fait, plussoyer, c’est du “faux-vieux”, comme ces meubles à l’ancienne que l’on trouve chez Conforama. Mais lui au moins, il a du caractère. Plus par exemple que le banal verbe “approuver” dont il est synonyme. Mais est-ce vraiment la même signification? Xochipillette me fait judicieusement remarquer que “my plus one” en anglais désigne ma moitié, mon (ma) petit(e) ami(e). Dans les forums anglo-saxons, le code “+1” marque donc autant l’approbation que la sympathie pour l’auteur d’un post. Or curieusement, on retrouve cette dimension affective dans notre “plussoyer” national. Est-ce parce qu’on peut plussoyer quelqu’un, alors qu’on ne peut approuver que ses propos? Je vous laisse méditer sur ce sujet transcendantal, en attendant moi je plussoie violemment cette inventivité lexicale!

jeudi 1 septembre 2011

Plastique la vie!


Source: ici
Avec son fameux exemple du Pouce du Panda, Stephen Jay Gould a rendu célèbre la notion d’exaption: en fait de pouce, il s’agit d’une excroissance osseuse poussée par hasard sur la patte et que le Panda utilise comme un sixième doigt opposable, bien pratique pour effeuiller les bambous et se goinffrer avec les feuilles. L’exaption désigne la capacité qu'ont les êtres vivants à détourner l’usage de leurs propres organes pour les exploiter à leur avantage.

lundi 25 juillet 2011

L'amour du risque

Science Etonnante a fait un très bon billet  comparant l'irrationalité des hommes et celle des singes et pointe du doigt une étrange propriété commune à nos deux espèces.  A gain équivalent en moyenne, on préfère éviter les risques quand on vise une récompense (pour l’instant ça semble normal) mais par un effet étrange de renversement on préfère prendre des risques quand il s’agit de minimiser des pertes.
Le schéma de son blog explique bien ça:

Dans l’expérience 1, les singes préfèrent choisir l’option 1 assurant une pomme supplémentaire à tous les coups plutôt que l’option 2, assurant soit 0, soit 2 pommes supplémentaires.
Dans l’expérience 2, par contre, quand on oblige les singes à perdre des pommes, ils préfèrent l’option 2 qui leur fait perdre tantôt 0, tantôt 2 pommes, plutôt que l’option 1 qui leur en fait une à coup sûr. Autrement dit, il y a “aversion au risque” si l’enjeu est une récompense et “goût pour le risque” quand on cherche à limiter ses pertes.

L’amour du risque est universel!
En cherchant un peu [1], j’ai découvert que la plupart des espèces animales se comportent exactement pareil: des abeilles, des guêpes, des rats, des oiseaux, des poissons etc. L’expérience 1 manipule comme récompenses des trucs à manger en quantités soit fixe, soit variable. L’expérience 2 joue en général sur le temps d’attente de distribution de nourriture (une longue attente est une perte), avec des délais soit fixes soit variables. La plupart des bestioles manifestent une certaine aversion pour les récompenses aléatoires mais une très forte préférence pour les délais variables. Exactement comme nous et nos amis les singes.

Cet étrange reversement des préférences m’a fait penser à la loi de Weber, dont je vous ai déjà parlé ici et .

dimanche 3 juillet 2011

Paroles et musique



En écoutant la dernière chanson de U2, je me faisais la réflexion qu'ils avaient réussi, tout comme les Cranberries, à conserver une certaine tonalité irlandaise malgré le style très international de leurs compositions. Et je me demandais ce qui détermine ainsi le style musical propre à  chaque pays, qu'il s'agisse de la chanson française, du rock espagnol, du raï algérien ou de la musique afro-cubaine.

J'ai fini par trouver une piste intéressante d'explication dans une lettre sur la musique française qu'a écrite Jean-Jacques Rousseau. Il y défendait l'idée que "toute musique national tire son principal caractère de la langue qui lui est propre, et je dois ajouter que c'est principalement la prosodie de la langue qui constitue ce caractère."

dimanche 19 juin 2011

L'imagination incarnée

Je vous ai raconté dans des billets précédents l’intime relation qui existe entre nos sensations physiques et nos jugements intellectuels ou émotionnels sur le monde qui nous entoure. Heureusement qu’il existe des moments où l’esprit échappe à la tyrannie du corps. L’esprit libre, quand je glandouille dans mon lit le dimanche matin et que mes pensées flottent librement. Mais notre imagination peut-elle vraiment se détacher de notre enveloppe charnelle? Sans doute beaucoup moins qu’on ne pourrait le croire...


Simulation ou stimulation?
Essayez de penser au son de la lettre B en formant un O avec les lèvres. Il paraît que c’est plus difficile que si vous aviez la bouche fermée. Marc Jeannerod[1] explique cette bizarrerie par le fait que B étant une consonne labiale, on se représente  mentalement sa prononciation en activant les neurones qui commandent le pincement des lèvres. Garder la bouche ouverte contrarie donc (légèrement) notre facilité à imaginer ce genre de son. Selon cette hypothèse, penser à une action mobiliserait les mêmes neurones que si l’on exécutait l’action pour de bon. La seule différence c’est qu’on garde le pied sur l’embrayage pendant qu’on stimule les neurones de l’action en question. Tiens! Revoici l’idée qu’une inhibition mentale est diablement féconde, puisque dans le cas présent, elle est la recette même de nos facultés d’imagination. 

dimanche 29 mai 2011

Cosmologie fastoche (3/3)

Part 3: à l'assaut du principe anthropique

Source: ici
Récapitulons: L'univers s'est sans doute formé il y a un peu plus de 13 milliards d'années; il est homogène, isotrope et respecte bien les règles de géométrie du genre "la somme des angles des ses triangles fait 180°" et "le périmètre d'un cercle vaut son diamètre fois pi", bref il est "euclidien". Son avenir est de s'agrandir de plus en plus vite et indéfiniment mais on notre univers observable, lui, est de taille finie et constante. L'exploration du passé est bien plus spéculative et pleine de surprises...

Le fonds diffus cosmologique ou pourquoi les métaux sont toujours opaques

Aussi loin qu'on le regarde, l'univers s'étend de plus en plus vite. Si l'on remontait dans le temps, on le verrait donc se contracter de plus en plus et devenir de plus en plus dense et chaud, comme un gaz qu'on comprime dans un piston. Or au-dessus d'une certaine température, vers 3000K environ, le gaz se transforme en plasma, sorte de soupe brûlante dans lequel tous les atomes sont ionisés et où les électrons se promènent librement comme dans un métal conducteur. Et comme le métal, le plasma est complètement opaque à la lumière: tout photon tentant de le traverser est immédiatement absorbé par un électron passant dans le coin. Impossible de voir au travers de la surface du soleil, même avec des filtres sophistiqués, car sa surface est justement à l'état de plasma. Notre jeune univers n'est donc devenu "transparent" que lorsque sa température est passée en dessous de 3000 degrés.

mercredi 18 mai 2011

Cosmologie fastoche (2)

Part2: Comment faire parler l'équation FLRW

Vous savez maintenant comment on trouve l’équation de l’univers (baptisée FLRW du nom de ses découvreurs) en écrivant simplement que l'énergie se conserve dans un univers homogène, isotrope et qui se dilate dans le temps. Mais je ne suis pas sûr que vous éprouviez encore une profonde jubilation intérieure en songeant que H² = (å/a)² = 8πGρ/3 -K/a² où H est la constante de Hubble, a(t) le facteur d'échelle (å sa dérivée), ρ la densité de matière de l'univers et K une constante. Au cas -très improbable- où vous ne voueriez pas un culte fervent à cette formule, il me faut vous en expliquer les merveilleux secrets.

lundi 9 mai 2011

Cosmologie fastoche (1)

Leonard Susskind n'est pas seulement un des grands physiciens du moment, ténors de la théorie des cordes et des "multivers", c'est aussi un extraordinaire pédagogue. En particulier son cours de cosmologie (disponibles en podcast) est un petit bijou de vulgarisation. Cette semaine voici par exemple comment il retrouve l'équation de l'univers (rien que ça!) en n'utilisant que des notions de physique classique (niveau Lycée).

Chapitre 1: l'équation de l'univers

L'histoire commence au début des années 1920, lorsque l'astronome Edwin Hubble découvre avec les tout nouveaux téléscopes de l'époque, que ce que l'on appelait des nébuleuses (celle de Trifide à gauche) correspondaient en réalité à d'autres galaxies que la nôtre, à des centaines de millions d'années lumière de nous.

dimanche 1 mai 2011

Irrationalités animales

Vous souvenez-vous du paradoxe de Monty Hall, dont je vous avais parlé dans ce billet? Il s'agit d'un jeu imaginaire où vous essayez de gagner un cadeau, caché derrière une seule des trois portes fermées se trouvant devant vous. Dès que vous avez choisi une porte, l'animateur du jeu -qui sait où est la bonne porte- vous indique une porte "perdante" parmi celles que vous n'avez pas choisies et, bon prince, il vous laisse la possibilité de modifier votre choix. Le ferez-vous? La majorité des gens préfèrent maintenir leur choix initial au motif qu'ils ont l'impression que de toutes façons ils ont une chance sur deux de gagner. En réalité, ils auraient deux fois plus de chance de gagner s'ils modifiaient leur choix (si vous n'êtes pas convaincus, faites le test vous-même sur ce site). J'ai découvert dans l'excellent blog de Sciences Etonnantes que l'on a fait passer à des pigeons un test similaire avec des boîtes opaques dont l'une seulement contient de la nourriture. Et  là surprise: à force de répéter le jeu, les pigeons finissent par piger le truc et adoptent à 96% la bonne stratégie, alors que dans la même situation un tiers des humains ne démordent pas de leur choix initial.

mardi 19 avril 2011

Neuro-récréation

Asseyez-vous et faites des cercles dans l’air avec votre pied droit, dans le sens des aiguilles d’une montre. Ca y est? Tout en continuant à tourner votre pied, essayez de dessiner des ronds horizontaux dans l’autre sens avec votre main gauche. Avec un peu de concentration vous devriez arriver sans trop de problème à faire les deux mouvements en même temps. Vous y êtes? Bravo!

Maintenant, essayez de faire la même chose avec votre pied droit et votre main droite tournant en sens inverse. C’est beaucoup, beaucoup plus dur! En variant les combinaisons (pied gauche/main gauche ou pied gauche/main droite) vous vous rendrez sans doute compte qu’il est très facile de désynchroniser son pied et sa main opposés mais très difficile de le faire lorsqu’ils sont du même côté.

Je n’ai pas lu d’explication à cette bizarrerie, mais il me semble que ça vient tout simplement du câblage de notre cerveau. Chaque hémisphère cérébral contrôle les membres du côté opposé. Lorsqu’on fait l’exercice avec la main gauche et le pied droit, l’hémisphère droit fait tourner le pied gauche dans un sens, et l’hémisphère gauche se charge de la main droite tournant dans l’autre sens: on arrive à désynchroniser les deux mouvements sans trop de difficultés car chaque hémisphère fait une seule tâche à la fois. En revanche lorsqu’il faut travailler main gauche et pied gauche, l’hémisphère droit est le seul à contrôler les deux mouvements et n’arrive pas à faire deux choses en même temps. Je suppose qu’à force d'entraînement on finit quand même par y arriver, en transférant le contrôle d’un des membres à l’hémisphère gauche.

Je vous ai parlé dans ce billet de la thèse d’Etienne Koechlin. Ses travaux ont montré que lorsqu’on exécute deux tâches simultanément, les lobes frontaux gauche et droit prennent chacun en charge une tâche différente, un lobe ne pouvant traiter deux actions à la fois.

© Etienne Koechlin. Quand une personne poursuit deux buts (Goal) en même temps, associés à deux actions (Action), les deux lobes frontaux s'activent simultanément. Chaque lobe frontal traite l'une des deux actions mais jamais les deux à la fois. Les régions préfrontales (en orange), situées juste derrière le front, assurent la coordination, en se chargeant du traitement d'un but pendant que l'autre est suspendu. Cette structure duale de l'hémisphère cérébral explique qu'un être humain n'est pas capable de gérer simultanément plus de deux tâches. Source: Pour la Science.

Le petit exercice tout simple que vous venez de faire illustre bien cette thèse. On en trouve des tas de variantes - tracer un 6 imaginaire avec une main et un 3 avec le pied par exemple. Les cours de récré sont un terrain de chasse idéal pour les neurosciences!

dimanche 10 avril 2011

Pour une culture de la frustration

J'ai essayé de vous montrer dans mon dernier billet que nos processus non conscients font l'essentiel du boulot -décider, bouger, ressentir, percevoir, juger, croire etc. Notre conscience planifie en amont et refait l'histoire après coup, mais sur le moment elle se contente de résister aux mille et une tentations qui s'offrent à chaque instant. Mais comment fait-elle?
La récente crise américaine a montré à quel point nous résistons difficilement aux tentations de la consommation à crédit. La nature ne nous a pas dotés d'un système mental spontanément capable de refuser des gratifications immédiates -s'acheter une maison, consommer des sucreries ou fumer une cigarette- au nom des conséquences futures, financières, médicales ou autres. Il faut croire que ce genre de stoïcisme n'avait pas une grande utilité adaptative pour les premiers hominidés, trop heureux de manger tout ce qui leur tombait sous la main.
A défaut de l'inné, c'est donc grâce à l'apprentissage qu'il a fallu acquérir ce self-control.

samedi 26 mars 2011

Notre conscience serait-elle politiquement incorrecte?

Cette semaine j'ai envie de remettre en perspective certains de mes billets précédents qui pourraient laisser croire que notre conscience est dominée par des processus non-conscients et qu'elle s'accommode comme elle le peut avec la réalité, subissant notre comportement tout en prétendant l'orchestrer. Ce serait pourtant lui faire injure que de la réduire au rôle de la "petite voix" des reportages de M6 (elle m'agace cette voix à force!), dont le seul rôle serait d'auto-justifier a posteriori ce qu'on pense, croit ou fait. Je vais donc essayer d'éclairer un peu le rôle de notre conscience et ses liens avec les mécanismes non-conscients de notre cerveau.

vendredi 18 mars 2011

Neurones, cherchez l'erreur!

Pas facile d’aider son ado à faire ses exercices de maths sans s’énerver quand il se trompe. Pourquoi ai-je tellement plus de mal à garder mon sang-froid avec mon numberOne qu’avec un autre enfant? Je viens peut-être de trouver l’explication dans une récente conférence de Stanislas Dehaene (ce type est génial, depuis le temps que je vous en parle...) sur les mécanismes de jugement de soi, du type “Ai-je confiance en ma réponse?”, “Me suis-je trompé?”,  “Ai-je compris?” etc, bref sur ce que les scientifiques appellent la métacognition.

vendredi 11 mars 2011

Faut-il se tester pour mieux apprendre?

Dans mon dernier billet, je vous parlais de la “théorie de la reconsolidation”, selon laquelle il n’y aurait pas de différence de nature entre l’acte de se remémorer un souvenir et celui de l’enregistrer en mémoire. Evoquer mentalement une information qu’on garde en mémoire refabriquerait de nouveau le souvenir de cette information et ce serait l'occasion idéale pour modifier ce souvenir, l'atténuer voire même de le supprimer si vous vous appelez Jim Carrey.  Mais à l'inverse, si cette hypothèse est exacte, se rappeler certaines connaissances devrait logiquement consolider la mémorisation à long terme. Or en me baladant sur le site du Collège de France je suis tombé par hasard sur la mise à l'épreuve expérimentale de cette  hypothèse par des psychologues américains qui étudiaient l’efficacité des méthodes pédagogiques pour apprendre.

vendredi 4 mars 2011

Eternal sunshine of the spotless rat

La mode est aux produits qui boostent la mémoire. Mais il y a des gens qui paieraient cher pour oublier un souvenir pénible. Comme dans le film “Eternal Sunshine of the Spotless Mind” où Jim Carrey se fait effacer de son cerveau le souvenir de son amour malheureux pour Kate Winslet. Science fiction? Oui, pour les humanoïdes sans doute. Mais si vous vous sentez une âme de rat de laboratoire, ça peut peut-être s’envisager. Début de recette pour apprentis-sorciers...

jeudi 10 février 2011

T'oublies or not to be

L’oubli nous évoque un phénomène inévitable, une sorte de dégradation naturelle de la mémoire comme l’érosion qui effacerait des traces sur le sable. Alors que la mémoire semble être le propre du vivant, un courageux effort contre-nature, on associe plutôt l’oubli au monde de l’inerte, à la nature qui reprend ses droits après la mort. L’analogie est tentante mais trompeuse. Je vous avais déjà raconté dans ce précédent billet sur les trous de mémoire combien l’oubli est un processus plus subtil que ça. Non seulement on peut oublier sur commande mais surtout l’oubli nous est bien utile pour s’adapter au changement, nous évitant le blanc devant le distributeur de billets lorsque notre code confidentiel a changé. Au hasard de mes lectures j’ai découvert bien d’autres cas où l’oubli s’avère être un auxiliaire à la fois discret et précieux de notre mémoire...

mardi 25 janvier 2011

Singer est-il le propre de l'homme?

L'acquisition de comportements nouveaux n'est pas propre à l'espèce humaine, tout le monde en convient désormais tant les preuves d'acculturation abondent dans le règne animal (voir par exemple des exemples dans ce billet). Pourtant ce constat pose une énigme: pourquoi cette “culture” animale serait-elle restée aussi rudimentaire chez des animaux aussi intelligents que les singes, les dauphins ou les corbeaux?

jeudi 13 janvier 2011

La powerpointisation des esprits?

PowerPoint m'énerve, mais je me sens maintenant moins seul depuis que j'ai lu "la Pensée PowerPoint". L'auteur Franck Fremer y démonte méthodiquement les raisons et les dangers de son énorme succès dans tous les secteurs de la société, de l'école jusqu'à l'armée. Et c'est vrai que faire une présentation en public sans ses slides donne désormais l’impression de ne pas avoir préparé son sujet. Même pour parler en tête à tête d’un sujet de fond ça fait plus sérieux d'apporter des slides. Le ppt a définitivement ringardisé la note de synthèse en une page, qui constituait il y a dix ans le nec plus ultra en matière de synthèse. Si vous travaillez en entreprise, vous aurez sans doute remarqué d’ailleurs que le traitement de texte est un outil en voie de disparition, sauf pour la rédaction des documents juridiques ou pour les communiqués de presse. Word mis K.O. par PowerPoint, qui l’eut dit il y a plus de vingt ans, quand la première version du logiciel a été mise sur le marché?

Ce succès n’est pas bien difficile à comprendre selon Fremer: c’est quand même plus simple de torcher une présentation vite fait que de prendre le temps de rédiger une note. Surtout que ce logiciel a une capacité impressionnante à réduire la surface utile du document, rien qu’avec le format des slides à l'horizontale. Cette contrainte est sans conséquence pour des présentations très simples, mais imaginez ce que donnerait une décision de justice ou une plaidoirie si elle devait être rédigée sous PowerPoint. Pourtant cet outil est utilisé pour traiter absolument tous les sujets. La commission d'enquête sur l'explosion de la navette Columbia en 2003 (dont le rapport est disponible en pdf), a par exemple été «surprise de recevoir des slides de la part de la NASA plutôt que des rapports techniques. Elle [a considèré] que l'usage endémique de briefs sous forme de slides PowerPoint plutôt que de notes techniques illustre les problèmes de méthode de la NASA dans sa communication technique.» (p191) Je ne serais pas étonné que l’usage immodéré de PowerPoint soit en partie responsable de quelques gros dysfonctionnements industriels récents à ADP, à la SNCF ou ailleurs...

Un format favorable aux argumentations bidons
 Le danger est d’autant plus grand que la structure de la présentation influe subtilement sur la force de l'argumentation. "Le medium est le message": jamais cette affirmation de McLuhan n’aura été aussi évidente, tant le format des slides influence à la fois la manière de les concevoir et la façon dont on les perçoit. Fremer note que la liste de bullet-points, qui est le format par défaut, donne l'illusion d'une énumération exhaustive des facteurs à prendre en compte qui s’enchaînent sans liaison. Et comme il n’y a pas de mot de transition d’une ligne à l’autre, la logique de l’enchainement semble aller de soi jusqu’à la conclusion finale. La même absence de transition logique d’une diapositive à l’autre renforce l’impression générale d'un environnement logique, parfaitement maîtrisé. La forme séquentielle des bullet-points et des diapositives se prête d’ailleurs mal aux digressions, aux nuances, aux réserves. Les "sous-niveaux" des listes sont parfaits pour illustrer une idée mais très mal adaptés pour traiter une objection ou soulever une réserve. Le format de PowerPoint semble conçu pour vendre un parti-pris en conservant l’apparence d’une parfaite objectivité. L'outil idéal pour les cabinets de conseil qui lui ont donné ses lettres de noblesse.

Si malgré tout la critique pointe son nez, PowerPoint vous offre des arguments imparables, grâce au statut ambivalent des slides, à la fois supports de la présentation orale et document final remis à l’auditoire, qui protège son auteur de toutes les critiques. Certains arguments sont faibles ou ambigus? C’est normal: les slides n'ont de valeur qu'accompagnées par l’explication orale de l’auteur. Les slides sont trop nombreuses  et enfoncent des portes ouvertes? C’est pour que le support soit "auto-suffisant" et compris par ceux qui n'auraient pas pu assister à la présentation orale.

La syntaxe 
La novlangue et le politiquement correct peuvent aussi contribuer à prévenir toute critique. Il suffit de respecter quelques règles simples:
- Mettez vos verbes à l’infinitif, jamais à l’impératif. C’est plus froid et ça s’adresse à tout le monde et personne à la fois. Ou mieux : remplacez les verbes par des noms, c’est encore plus impersonnel. Ne dites pas «Nous sommes dans les temps », dites plutôt «Planning respecté » (ou mieux : « TTM on-track » !)
- L’usage de l’article indéfini donne une certaine respectabilité à un bilan, extrapolant des constats sans vraiment annoncer la couleur (« un marché en effervescence», «une concurrence en marche », «des perspectives intéressantes» etc) La généralité est faite de façon suffisamment implicite pour ne pas prêter flanc à la critique.
- Bannissez les mots négatifs ou trop critiques qui pourraient trahir votre subjectivité. Les résultats ne sont pas «mauvais» mais «contrastés» (quand c’est les vôtres, sinon ils peuvent être «décevants»). Ne critiquez pas, contentez-vous de noter les «les points d’amélioration».
- A l’inverse lâchez-vous sur les mots positifs: mobilisez, dynamisez, optimisez, leveragez! Votre projet est toujours une «véritable révolution», votre réforme "majeure", le changement «radical» etc. Qui pourrait vous reprocher votre dynamisme et votre enthousiasme ?
- Employez les mots à la mode dans l’entreprise. En général beaucoup d’acronymes (forcément il faut faire court!) et quelques mots de novlangue en vogue font l’affaire.
Comme le dit très bien Rafi Haladjian (p9 de son bouquin sur le sujet): "PowerPoint est un outil magique. Il permet de donner l’illusion d’une parfaite maîtrise du monde. Il permet de mettre en scène un environnement séquentiel, ordonné, bidimensionnel, à sens unique. Un monde confortable et rassurant où l’on peut énumérer les choses, les recenser, les faire entrer dans les templates (en français : masques) de la pensée. Avec PowerPoint, vous pouvez balayer l’incertitude sous le tapis. « Surtout, ne montrons pas que nous ne savons rien. Faisons semblant de savoir où nous allons, que nous avons les choses bien en main. » Tout peut se résoudre par une implacable logique linéaire. Tout peut être dénombré, organisé, cadré, grâce aux bullet lists. Tout est soluble dans PowerPoint. A l'école, nous avions appris à faire un plan avant d’écrire une dissertation. Aujourd’hui on ne fait plus que le plan. Ca tombe bien lorsqu’on est à sec d’idées. Vous manquez de temps pour écrire un vrai texte ou (comme tout le monde) vous ne savez pas écrire : faites du PowerPoint plutôt que du Word. Au lieu d’argumenter, vous n’avez plus qu’à empiler, recenser, bullet-lister et enfiler des verbes à l’infinitif (construire, découvrir, développer, gagner) ou des phrases nominales."
La langue de bois PowerPoint prête peu le flanc à la critique frontale. En contrepartie, elle suscite rarement l'adhésion. Fremer note que ces présentations sont accueillies en général avec indifférence et froideur et qu'elles ont de plus en plus de mal à transmettre une vision, un élan. A force de voir annoncer des lendemains qui chantent avec toujours les mêmes mots, le public se lasse forcément et n’y croit plus. Je soupçonne que la crise de confiance des salariés envers les grandes sociétés qui les emploie provient en partie de cette indigestion de promesses PowerPoint non tenues année après année, en violent contraste avec le vécu de chacun.

La prépondérance de la forme sur le fond?

Finalement de tous les griefs que l'on fait à PowerPoint, la sophistication des effets est sans doute celui qui me dérange le moins. L’inventeur de l’outil, Robert Gaskins regrette l'abus de décorum dans les présentations qui finirait selon lui par déconcentrer le présentateur et distraire son auditoire du propos. Personnellement j’ai rarement eu l’occasion d’être «distrait» par une trop brillante présentation, en dehors de quelques présentations spectaculaires lors de conférences publiques du type TED. Au contraire! Je suis au contraire frappé par le consternant manque d’originalité dans les slides que je vois passer à longueur de journée, avec toujours les mêmes formats, voire toujours les mêmes illustrations. En toute objectivité, je ne brille pas moi-même par ma créativité powerpointesque... Au lieu de stimuler l’imagination et la créativité, ce logiciel a finalement nivelé toutes les présentations par le bas. Si l'on fait le compte, il a sapé à la fois la créativité, la rigueur méthodologique, l'esprit critique et le moral des salariés des grandes entreprises. Faut-t-il en suspendre temporairement l'usage, au nom du principe de précaution? Sur ce, je vous laisse j'ai une prés' à finir pour demain...

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Sources:

Franck Fromer "La pensée PowerPoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide" (2010)
Rafi Haladjian, "Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word" (pdf)
L'article du NYT "We have met the ennemy and he is PowerPoint" (avril 2010)
R Gaskins: PowerPoint at 20: back to basics (pdf)

mercredi 5 janvier 2011

Si la relativité générale m'était contée...

Science et Vie Junior consacre ce mois-ci un article sur quelques phénomènes étranges dus à la relativité. Un très bel exercice de pédagogie qui prouve qu'on peut sans équations et avec des expériences de pensée rigolotes expliquer l'idée d'une théorie pourtant compliquée. Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter l'histoire à ma sauce.

Première étape: atterri ou pas? L'équivalence entre gravité et accélération
Bob est un astronaute envoyé en mission intergalactique pour y explorer la mystérieuse planète Zorglub. Pour lui éviter l'ennui d'un long voyage, on l'a endormi après le décollage pour plusieurs années. Mais suite à une panne quelque part, Bob se réveille avant d'être arrivé. Du moins le suppose-t-il car tout est noir dans l'habitacle. Les hublots sont obturés, les appareils de mesure éteints et il règne un silence profond. Que se passe-t-il? Est-il arrivé? Bob se détache, pose un pied par terre et réalise qu'au lieu de flotter dans l'habitacle il peut se tenir debout sur le sol de la fusée. Son cerveau se met à carburer: "Serait-on déjà arrivé sur Zorglub dont je sens l'effet de la gravité? A moins que ce ne soit simplement l'effet de l'accélération de la fusée? Impossible de savoir car je n'ai aucun indice extérieur: les moteurs sont silencieux et les cache-hublots fermés!"

Interlude1: c'est grâce à cette expérience de pensée qu'Einstein raconte avoir eu la meilleure idée de sa vie (avec un ascenseur car les fusées n'existaient pas à l'époque). Vous avez appris en classe de Seconde qu'un objet dans un champ de gravité g est soumis à une force égale à sa masse fois son accélération a. Autrement dit a = g, on ne peut différencier une accélération d'un champ de pesanteur. Il n'en serait pas de même si notre objet était soumis à un autre type de force, électrique, magnétique ou autre car la force de gravité est la seule qui dépende directement de la masse. L'équivalence entre accélération et gravité explique le désarroi de notre ami Bob: sans indice extérieur il est incapable de savoir s'il est posé sur le sol d'une planète ou si son vaisseau est en pleine accélération. Le coup de génie d'Einstein est d'avoir étendu cette équivalence à toutes les lois de la physique. Il a postulé qu'elles se comportaient toutes de la même manière, que l'on soit soumis à la gravité ou en train d'accélérer au beau milieu de l'espace. Mais poursuivons les aventures de Bob...

Deuxième étape: la lumière déviée par la gravitation?
A tâtons, Bob cherche à ouvrir les cache-hublots pour regarder ce qui se passe dehors. Damned c'est bloqué! Bob essaie de faire un trou dedans avec son couteau mais il ne réussit qu'à percer une minuscule entaille. Un fin rayon de lumière entre dans le vaisseau. "Ouf! se dit-il, en examinant attentivement la trajectoire de la lumière je vais enfin savoir si oui ou non je suis arrêté:
- si je suis posé sur le sol d'une planète, le rai de lumière à l'intérieur de mon vaisseau dessinera une ligne droite parfaite.
- si par contre, je suis en train d'accélérer, le rayon dessinera une (très) légère parabole dans mon vaisseau."

Le raisonnement de Bob (qui ne lit pas Sciences et Vie Junior!)

Faux, archi-faux! dirait Einstein dont le principe d'équivalence postule que toutes les lois de la physique doivent être identiques, qu'on soit soumis à la gravité ou à une accélération. A l'en croire, la trajectoire d’un rayon lumineux doit être déviée par la gravité exactement comme elle le serait si la fusée accélérait! On peut dire à Bob d'arrêter d'essayer de mesurer la courbure du rayon lumineux dans sa fusée, ça ne lui donnera aucune information sur sa situation.

Interlude2: Aussi fou que ça puisse paraître, plus une planète est massive, plus elle courbe la trajectoire des rayons lumineux qui passent à proximité exactement comme l'air surchauffé par le sol dévie la lumière et provoque des mirages d'eau dans le désert. Il y a pourtant une différence entre les deux situations. Dans l'air, la vitesse de la lumière varie en fonction de la température, on conçoit donc que pour un rayon lumineux, le chemin le plus rapide entre deux points soit courbé. A l'inverse, la vitesse de la lumière est toujours la même dans le vide. Pourquoi dans ses conditions le chemin optique le plus court entre deux points serait-il courbe? La seule explication possible serait qu'un champ de gravité déforme l'espace lui-même, comme si l'on posait une boule au milieu d'une nappe tenue par ses quatre coins. Dans de tels espaces courbes, la ligne droite n'est plus forcément le plus court chemin entre deux points et il est possible que la trajectoire de la lumière soit courbée. Comme le décrit l'excellent blog de Science étonnante, la déviation de la lumière au voisinage de galaxies très massives peut même provoquer d'impressionnants mirages astronomiques: la fameuse croix d'Einstein et ses quatre étoiles fantômes ou encore ce qu'on verrait si un trou noir se trouvait entre nous et un galaxie (source: Wikipedia)


Troisième étape: le temps passe plus vite sans la gravité
Bob est désespéré. Ca fait plusieurs heures qu'il essaie de savoir si oui ou non il est posé sur la satanée planète. La communication avec la Terre est quasiment HS: Bob n'arrive qu’à transmettre passer des signaux en morse Bip Bip Bip… Pas pratique pour causer, mais peut-être est-ce suffisant ? Bob se fait le raisonnement suivant. Zorglub est quasiment immobile par rapport à la Terre. S’il est posé dessus, le temps à sa montre s’écoulera au même rythme que sur Terre: une minute à sa montre correspondra exactement à une minute à Houston. Si par contre, son vaisseau est en mouvement par rapport à la Terre, une minute à sa montre correspondra à plus de 60 secondes sur Terre: ce sont les lois de la relativité restreinte qui l'affirment. « Donc, se dit-il, il suffit que je fasse transmette le tic-tac de ma montre par la radio pour que sur Terre ils sachent si je suis en mouvement ou posé sur Zorglub. Ils trouveront bien un moyen de me renvoyer l’info… »

Interlude 3 : Pour ceux que ça intéresse voici une explication simple du phénomène de dilatation du temps (empruntée au blog d'Alexandre Moatti). Les lecteurs pressés se rendront directement au paragraphe suivant sans toucher 20 000F.
Au lieu d’une horloge, raisonnons sur le temps qu’il faut à un rayon lumineux pour traverser le vaisseau spatial dans les deux sens. Si la fusée est en mouvement par rapport à la Terre, Bob situé à l'intérieur de la fusée mesurera une durée plus courte qu'un observateur qui chronomètrerait ce phénomène depuis la Terre:


C'est l’un des résultats les plus paradoxaux de la relativité: une horloge qui bouge semble ralentie pour un observateur immobile. Langevin en a tiré un paradoxe célèbre: si l’on envoie quelqu'un voyager dans l'espace à très grande vitesse, il reviendra sur Terre en étant plus jeune que son frère jumeau resté sur place!

Malheureusement pour Bob, son stratagème est encore voué à l'échec car il vient encore une fois d’oublier le principe d’équivalence d’Einstein. Les lois physiques sont les mêmes en situation de pesanteur et en situation d’accélération. La montre de Bob, vue de la Terre, semblera ralentie dans tous les cas de figure, qu’il soit posé sur une planète ou en pleine accélération. Autrement dit la gravité ralentit aussi le temps ! La seule possibilité qui reste à Bob pour savoir où il en est dans son odyssée spatiale est d’ouvrir un hublot et de trouver un repère extérieur.
Ces phénomènes de dilatation du temps ont été souvent mis en évidence avec des horloges de très haute précision embarquées dans des jets. Mais en septembre dernier, le physicien américain James Chou a mis en évidence l’effet de la gravité sur le temps sans même bouger de son laboratoire. Comme la gravité décroit avec l'altitude, il a réussi à comparer le rythme de deux horloges ultra précises disposées à des hauteurs différentes de 30cm seulement. Et comme le prédit la relativité générale, la plus haute des deux a une infime avance sur la plus basse.

Conclusion: bougez, remuez, gigotez! Ca vous permettra de rester jeune (un chouïa) plus longtemps. Par contre bizarrement on vieillit dans sa tête plus vite que dans ses jambes. Certes, pas de beaucoup : au bout de 79 ans, notre tête est plus vieille de 83 milliardièmes de secondes que nos pieds. Pas de quoi devenir Paresseux pour si peu!
source ici
Sources: Science et Vie Junior, Janvier 2011 dont sont tirées les infographies.

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